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Alexandrins

Les règles classiques du vers français – presque impossible à retenir comme consignes, difficiles à observer sans niaiseries, le plus d’art se dépensant à leur satisfaire, leur netteté permettant de juger sans oreille, sans poésie, les poètes ; règles conventionnelles ; de sociétés ; très propres à rendre ridicule, à soumettre l’homme qui chante à l’homme qui sait compter jusqu’à douze. 

Valéry, Cahiers. Poésie.

Il y a un mélange de provocation et d’humeur dans cette réflexion du poète à propos de l’écriture des vers. Elle est citée par Michel Bernardy dans son livre, Le Jeu verbal, pour nous alerter, non sans humour, sur les pièges que rencontre l’acteur dans l’exercice de leur diction. 

La puissance poétique des grands textes en vers du théâtre classique français traverse les siècles et continue de nous parler. La beauté et la densité de leur langue s’imposent ; de leurs langues, peut-on dire, car chaque poète déploie ses propres inventions langagières dans une contrainte commune. Et c’est en se tenant au plus près de ces inventions,  réponse créative de chaque auteur à la contrainte métrique, que l’acteur  peut être paradoxalement le plus libre. 

 

Au delà de la dimension intimidante ou pesante de certains rôles, marqués par des interprétations passées, se pose la question du traitement par l’acteur de la langue versifiée. Et il peut être difficile pour lui de s’engager dans une interprétation totalement neuve,  de rester véritablement vivant et alerte quand le rythme du langage s’impose à lui de façon prévisible et répétitive.  Un « respect du vers » qui s’en tient à une diction purement métrique, berce le spectateur comme elle berce l’acteur. Cette monotonie s’installe parfois à son insu, s’enracinant au plus profond de notre mémoire scolaire (les choses les plus anciennes étant, comme on le sait, les plus durablement inscrites…)

Un repérage précis de la structure syntaxique du texte commence par mettre à jour le fil du sens dans un énoncé parfois très chahuté par les inversions et les ellipses. Il révèle une partition rythmique d’une grande diversité, alternant moments spasmodiques et moments fluides qui courent parfois sur plusieurs vers. 

Grâce à ce travail préalable l’acteur tisse avec le texte un rapport neuf, lavé de toute scansion scolaire, débarrassé des clichés d’interprétation.  La partition syntaxique lui offre des impulsions et des trajectoires verbales précises qui libèrent son expression vocale et vont le mettre en mouvement. Cette langue s’empare de lui et il s’empare de cette langue, qui, par le jeu des sonorités et du rythme, le travaille dans des profondeurs que l’intellect n’atteint pas. Il peut se rendre disponible à ce qu’elle fait bouger en lui et chez ses partenaires, et à ce qu’elle propose au plateau.

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